À regarder leurs gestes, à
surprendre les nuances subtiles de leurs émotions, j’étais profondément
ému par ces deux vieux qui, dans le silence des sages, m’ont offert la vision
sublimée de ce à quoi j’aspire au plus profond de mon être : la tendresse
infinie.
Sans âge, parce que l’âge n’a plus
guère d’importance, ils se tenaient proches l’un de l’autre, mais d’un seul
être, en deux morceaux. Elle, debout, portait le regard vers les nues
ensoleillées, face à la fenêtre ouverte. Lui, assis près d’elle, semblait
absorbé par la lecture de l’ouvrage qu’il tenait ouvert. D’un mouvement calme,
elle se retourna ; et sa main lentement, accrocha le haut du livre qu'elle
tira vers elle, et qu’il laissa échapper sans un soupçon de retenue. Leurs
regards se sont fondus intensément en un sentiment qui n’appartenait qu’à eux
et que vint trahir avec bonheur un sourire largement esquissé. Sans plus de
mots, sans plus d’empressement, il posa sa main Ying sur la sienne Yang. Au sourire
s’ajoutait alors les ondes puissantes d’un état suprême : celui de la
tendresse.
Cet état suprême est celui ou règne
la paix et l’harmonie dans ce qu’il y a de plus absolu. Plus de guerres, ni de
pleurs, ni de joutes, plus de colère, ni de peur, ni de doute ; juste l’envie,
qui pas même ne s’évoque tant elle est d’évidence, que se prolonge encore,
encore, encore un peu, juste un peu, cette fusion vitale dont on connaît pourtant
l’issue fatale. L’inévitable fin, depuis longtemps domptée, est peut-être pour
demain, dans cinq ans, ou pour ce soir. Mais elle n’est que de chair, car la
tendresse à l’esprit forgée est infinie, aussi éternelle ou non que la foi ou l’incroyance
accordent à l’âme de ceux qui la vivent et l’engendrent.
Au-delà de l’amour, plus fort que lui, plus subtile encore,
plus profond et définitivement inaltérable, l’infinie complicité en toute
pensée et chaque geste, dans de longs silences ou de furtifs regards, est un
acte de tendresse aussi fort et indiscutable que celui de la mère à l’enfant. À
ceci près que chez les vieux chacun est, tout en même temps, la mère de son
conjoint et l’enfant de celui-ci.
> Je ne parle pas de ces vieux acides ou acariâtres qui, à force d’aveuglement ou d’égocentrisme exacerbé, n’ont d’autres attitudes et pensées qu’un profond désintérêt mâtiné de mépris à l’égard de l’autre qu’ils n’ont pas eu le courage d’accepter.
> Je ne parle pas de ces vieux, étrangers l’un à l’autre qui, par incapacité à dépasser leurs propres « exigences » ont cultivé toute leur vie une indépendance assassine d’une vie de couple.
> Je ne parle pas de ces vieux, étrangers l’un à l’autre qui, par incapacité à dépasser leurs propres « exigences » ont cultivé toute leur vie une indépendance assassine d’une vie de couple.
> Je ne parle pas de ces vieux dont l’un trop soumis et l’autre pas encore assagi vivent dans la crainte ou la défiance, en jeu cruel subtilement maturé, incompatibles avec l’émergence de sentiments pacifiés.
> Je ne parle pas de ces vieux vicieux ou pervertis qui, par inassouvissement de leurs penchants avouables et inavouables, de leurs ambitions indomptées et irraisonnables, n’ont eu de cesse de jalouser autrui et la planète entière
Ces vieux dont je parle sont ceux que j’ai vu, dont la vie les a, pas à pas, consciemment transcendé dans leur condition d’humain pour donner au mot sapiens toute la grandeur qui est le sien.
> Je ne parle pas de ces vieux vicieux ou pervertis qui, par inassouvissement de leurs penchants avouables et inavouables, de leurs ambitions indomptées et irraisonnables, n’ont eu de cesse de jalouser autrui et la planète entière
Ces vieux dont je parle sont ceux que j’ai vu, dont la vie les a, pas à pas, consciemment transcendé dans leur condition d’humain pour donner au mot sapiens toute la grandeur qui est le sien.
Ces vieux là ? Pour d’autres, ce pourrait être le
singulier qui prédomine… ce vieux, ou
cette vieille… l’un ou l’autre, solitaire écorché par la cruauté de la vie, mais
qui prolonge la profondeur de la passion pour l’autre qui n’est plus, en
tendresse pour ceux qui les entourent, amis ou anonymes. Vous savez, ce
rayonnement qui illumine leur visage, rend serein leur regard, apaise leurs
traits, et qui surprend, dénote même, au milieux de la foule grise, agitée ou
tendue, indifférente ou distante, qui nous entoure habituellement et à laquelle
on appartient peut-être.
Je laisse à la jeunesse fougueuse l’illusion que l’amour est
charnelle. Je laisse aux polygynes et polyandres convaincus l’idée que le Graal
se cache dans le pluriel. Je laisse aux butineurs instables le risque de solitude que masque la quête
incessante de nouvelles aventures. Je laisse aux convaincus de Dieu, du moins
aux attentistes passifs, le soin de croire qu’ici-bas rien n’atteindra jamais l’intensité
de l’au-delà. Je laisse leurs certitudes à ceux qui pensent que sans amour porté
à soi-même on ne peut jouir de l’amour d’autrui et de la vie. J’ignore plus
simplement d’ailleurs ceux qui ne font que s’aimer à travers l’amour qu’ils
disent porter à l’autre !
Car il y a tant d’année déjà, je me suis dit en me voyant éclaboussé
de la tendresse infinie de deux petits vieux, qu’il me fallait vivre en acteurs
conscient toutes les épreuves de notre existence avec l’envie de connaître peu
à peu l’intense bien-être de ce sentiment profond. Alors, depuis que cette
tendresse marque enfin de ces premiers effets tous les instants d’un amour
conjoint longuement vécu, je découvre qu’elle garde en elle un secret encore
plus grand que mon âme effleure à peine… la félicité.
texte illustré avec les photos d'œuvres de Michel Wohlfahrt
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